Le réalisme


Pour aller plus loin

Alors que l’échec de la révolution populaire de 1848 porte un coup dur au romantisme, il marque en même temps les débuts du réalisme. Bien que l’on « classe » souvent des auteurs tels que Balzac ou Stendhal parmi ce mouvement, ceux-ci ne s’en sont jamais revendiqués, d’autant plus que l’appellation, comme souvent, est anachronique.

D’abord utilisé pour qualifier une peinture qui se veut éloigner des modèles idéaux du classicisme pour représenter des sujets de vie, le réalisme en littérature voudra étudier tous les aspects de cette vie sociale ou naturelle. Sa principale ambition est de présenter des sujets dont les qualités (formes, couleurs, intensité pour les objets, auxquelles s’ajoutent le caractère, les actions, etc. pour le personnage) ne sont pas tamisées par l’imagination : l’observation joue donc un rôle premier.

C’est, d’après le mouvement de l’époque, la société qui trouve dans le réalisme sa plus vaste expression : Balzac en peint, dès 1829, deux classes, et parmi elles des personnages-types (l’avare, l’ambitieux, le banquier, etc.) ; l’aristocratie et la bourgeoisie montante sont largement privilégiées. Il faudra attendre Zola pour la classe ouvrière. Si Stendhal le premier lie littérature et histoire, les sujets réalistes sont en règle générale contemporains.

Courbet, Enterrement à Ornans, 1850

Comme pour la peinture, il faut apprendre à distinguer la manière d’expression plastique, le style, du sujet. Il faut aussi ne pas perdre de vue que, comme pour tous les mouvements, la littérature reste la première des choses, le mouvement et l’auteur ne sont que second.


I. Les principaux sujets du réalisme


A. La société


Millet, Les glaneuses, 1857

 En accord avec la pensée de l’époque, le réalisme veut surtout peindre la particularité du quotidien, dont les mondes paysan, ouvrier et bourgeois sont des composantes. L’ordinaire se reflète dans le traitement des sujets mais aussi des personnages, à l’opposé des héros romantiques.
Certains personnages sont récurrents : le vieil aristocrate symbolisant la fin d’un monde, le jeune homme ambitieux (Rastignac, de Rubempré chez Balzac), la femme mariée et adultère (par exemple Madame Bovary ou la mère de Pierre et Jean), le bourgeois, l’homme du peuple.


B. L’argent et les classes sociales


Le contraste entre les classes sociales est constamment mis en relief.


Pierre, frappé par l’adultère ancien, dont le fruit fut son frère, de sa mère, décide de s’embarquer comme médecin sur un transatlantique. Il y décrit ses premières impressions.

C’était bien là le vaste hall flottant et cosmopolite où devaient manger en commun les gens riches de tous les continents. Son luxe opulent était celui des grands hôtels, des théâtres, des lieux publics, le luxe imposant et banal qui satisfait l’œil des millionnaires. Le docteur allait passer dans la partie du navire réservée à la seconde classe, quand il se souvint qu’on avait embarqué la veille au soir un grand troupeau d’émigrants, et il descendit dans l’entrepont. En y pénétrant, il fut saisi par une odeur nauséabonde d’humanité pauvre et malpropre, puanteur de chair nue plus écœurante que celle du poil ou de la laine des bêtes. Alors, dans une sorte de souterrain obscur et bas, pareil aux galeries des mines, Pierre aperçut des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants étendus sur des planches superposées ou grouillant par tas sur le sol. Il ne distinguait point les visages mais voyait vaguement cette foule sordide en haillons, cette foule de misérables vaincus par la vie, épuisés, écrasés, partant avec une femme maigre et des enfants exténués pour une terre inconnue, où ils espéraient ne point mourir de faim, peut-être.

Maupassant, Pierre et Jean, IX

Vous serez marchand de bois (...) Il vous y faudra (à Paris) louer un chantier, payer patente et des impositions, payer les droits de navigation, ceux d'octroi, faire les frais de débardage et de mise en pile, enfin avoir un agent comptable...

Balzac, Les paysans (1844)


C. Le corps malade et la médecine


De nombreux personnages de romans réalistes sont médecins ou pharmaciens : M. Bovary et M. Homais, Le médecin de campagne de Balzac, Pierre dans Pierre et Jean. On n’oubliera pas non plus la dette de Zola (voir Naturalisme) pour la  de Bernard, et son personnage, Pascal Rougon. Le corps, à l’opposé de l’âme romantique, deviendra ainsi un leitmotiv réaliste.


II. L’expression du réalisme


A. La métaphore du miroir


Le roman devient un miroir dans lequel se reflète le monde. Thème qui sera aussi repris par les symbolistes, le miroir est souvent utilisé par les auteurs réalistes :


« Un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin » (Stendhal, préface, Le rouge et le noir).

« Leurs deux visages se reflétaient, l’un contre l’autre, dans l’eau si claire dont les plantes noires du fond faisaient une glace limpide » (Maupassant, Pierre et Jean, VI).

 « Le réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. » (Maupassant, Préface de Pierre et Jean)


B. Donner l’effet du réel


Le réaliste rejette toute forme de héros pour s’attacher au personnage ordinaire : là est la première condition pour obtenir un effet réel.

La reprise de faits divers est également une source d’étude : le réaliste rejette donc l’inspiration romantique au profit de l’étude, de l’importance de l’histoire et de l’environnement, avec une grande préparation en amont (documentation).


C. La forme


Evidemment, le roman et la nouvelle sont les formes qui se prêtent le mieux au réalisme, la poésie étant souvent vue comme trop idéaliste et romantique.

Pour Flaubert, « le style est à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. »


J’ai eu, aussi, moi, mon époque nerveuse, mon époque sentimentale, et j’en porte encore, comme un galérien, la marque au cou. Avec ma main brûlée j’ai le droit maintenant d’écrire des phrases sur la nature du feu. Tu m’as connu comme cette période venait de se clore, et arrivé à l’âge d’homme. Mais avant, autrefois, j’ai cru à la réalité de la poésie dans la vie, à la beauté plastique des passions, etc. J’avais une admiration égale pour tous les tapages ; j’en ai été assourdi et je les ai distingués.

Flaubert, lettre à Louise Colet (1852)

Souvent, une attention particulière du détail est mise en œuvre, ainsi qu’un quelquefois grossier rapprochement entre le réel et l’idée qui lui correspondrait.


Il remuait et agissait par gestes courts, jamais complets, jamais il n’allongeait le bras tout à fait, n’ouvrait toutes grandes les jambes, ne faisait un mouvement entier et définitif. Ses idées semblaient pareilles à ses actes ; il les indiquait, les promettait, les esquissait, les suggérait, mais ne les énonçait pas.

Maupassant, Pierre et Jean (1888)


Il l’examinait avec une curiosité stupéfaite. C’était sa mère, cette femme ! Toute cette figure, vue dès l’enfance, dès que son œil avait pu distinguer, ce sourire, cette voix si connue, si familière, lui paraissaient brusquement nouveaux et autres de ce qu’ils avaient été jusque-là pour lui. Il comprenait à présent que, l’aimant, il ne l’avait jamais regardée. C’était bien elle pourtant, et il n’ignorait rien des plus petits détails de son visage ; mais ces petits détails, il les apercevait nettement pour la première fois.

Maupassant, Ibid., V


Les principaux auteurs du réalisme


Littérature :   Stendhal                      1783-1842      George Eliot  1819-1880
Honoré de Balzac      1799-1850
                        Gustave Flaubert       1821-1880


Peinture :       Camille Corot                      1796-1875
Jean-François Millet             1814-1875     
                        Gustave Courbet                 1819-1877

III. Lecture


Femme désillusionnée malgré l’amour de son mari, Emma Bovary se compromet avec un clerc et un châtelain séducteur et instable, tout en contractant d’énormes dettes qui mènent à une saisie. Idéal amour et réel trompés, elle avale de l’arsenic dans la boutique du pharmacien.


Elle était rentrée. — Qu’y avait-il ?… Pourquoi ?… Explique-moi !…
Elle s’assit à son secrétaire, et écrivit une lettre qu’elle cacheta lentement, ajoutant la date du jour et l’heure.
Puis elle dit d’un ton solennel :
— Tu la liras demain ; d’ici là, je t’en prie, ne m’adresse pas une seule question !… Non, pas une !
— Mais…
— Oh ! laisse-moi !
Et elle se coucha tout du long sur son lit.
Une saveur âcre qu’elle sentait dans sa bouche la réveilla. Elle entrevit Charles et referma les yeux.
Elle s’épiait curieusement, pour discerner si elle ne souffrait pas. Mais non ! rien encore. Elle entendait le battement de la pendule, le bruit du feu, et Charles, debout près de sa couche, qui respirait.
— Ah ! c’est bien peu de chose, la mort ! pensait-elle ; je vais m’endormir, et tout sera fini !
Elle but une gorgée d’eau et se tourna vers la muraille.
Cet affreux goût d’encre continuait.
— J’ai soif !… oh ! j’ai bien soif ! soupira-t-elle.
— Qu’as-tu donc ? dit Charles, qui lui tendait un verre.
— Ce n’est rien !… Ouvre la fenêtre…, j’étouffe !
Et elle fut prise d’une nausée si soudaine, qu’elle eut à peine le temps de saisir son mouchoir sous l’oreiller.
— Enlève-le ! dit-elle vivement ; jette-le !
Il la questionna ; elle ne répondit pas. Elle se tenait immobile, de peur que la moindre émotion ne la fît vomir. Cependant, elle sentait un froid de glace qui lui montait des pieds jusqu’au cœur.
— Ah ! voilà que ça commence ! murmura-t-elle.
— Que dis-tu ?
Elle roulait sa tête avec un geste doux plein d’angoisse, et tout en ouvrant continuellement les mâchoires, comme si elle eût porté sur sa langue quelque chose de très lourd. À huit heures, les vomissements reparurent.
Charles observa qu’il y avait au fond de la cuvette une sorte de gravier blanc, attaché aux parois de la porcelaine.
— C’est extraordinaire ! c’est singulier ! répéta-t-il.
Mais elle dit d’une voix forte :
— Non, tu te trompes !
Alors, délicatement et presque en la caressant, il lui passa la main sur l’estomac. Elle jeta un cri aigu. Il se recula tout effrayé.
Puis elle se mit à geindre, faiblement d’abord. Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où s’enfonçaient ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque insensible maintenant.
Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l’exhalaison d’une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d’elle, et à toutes les questions elle ne répondait qu’en hochant la tête ; même elle sourit deux ou trois fois. Peu à peu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa ; elle prétendit qu’elle allait mieux et qu’elle se lèverait tout à l’heure. Mais les convulsions la saisirent ; elle s’écria :
— Ah ! c’est atroce, mon Dieu !
Il se jeta à genoux contre son lit.
— Parle ! qu’as-tu mangé ? Réponds, au nom du ciel !
Et il la regardait avec des yeux d’une tendresse comme elle n’en avait jamais vu.
— Eh bien, là…, là !… dit-elle d’une voix défaillante.
Il bondit au secrétaire, brisa le cachet et lut tout haut Qu’on n’accuse personne… Il s’arrêta, se passa la main sur les yeux, et relut encore.
— Comment !… Au secours ! à moi ! Et il ne pouvait que répéter ce mot : « Empoisonnée ! empoisonnée ! »

Flaubert, Madame Bovary, 1857

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