Le naturalisme


Ah ! nous y trempons tous, dans la sauce romantique. Notre jeunesse y a trop barboté, nous en sommes barbouillés jusqu’au menton. Il nous faudra une fameuse lessive. (Zola, l’œuvre, 1886, II)


Si le naturalisme est d’abord la doctrine philosophique qui pose pour principe la nature, en littérature il un mouvement caractérisée par la volonté de peindre la réalité sociale dans tous ses aspects, et notamment les milieux prolétaires.

Son chef de file, Émile Zola, refuse toute psychologie, met en avant la seule expérimentation scientifique, l’hérédité et l’influence du milieu. On peut évidemment retracer les origines du naturalisme à « l’animal-machine » de Descartes, mais on pensera surtout que c’est un mouvement qui vit de son siècle. Tout semble l’annoncer ; le réalisme qu’il prolonge, le positivisme de Comte, Lamarck, Darwin (L’origine des espèces, 1859), et toute la société bourgeoise de cette seconde moitié du XIXe siècle.

Zola, figure omniprésente de ce mouvement, n’éclipse pourtant les autres que par certaines théories qui lui sont propres. Mais le naturalisme, en prolongeant le réalisme, connaîtra d’autres grands noms.

Maupassant, introduit dans le milieu littéraire par Flaubert, côtoiera Zola et les frères Goncourt. Mais d’autres, comme Huysmans, s’éloigneront diamétralement du naturalisme pour embrasser d’autres horizons littéraires. En voici la critique :

– Tu y crois si bien à ces idées-là, mon cher, que tu as abandonné l’adultère, l’amour, l’ambition, tous les sujets apprivoisés du roman moderne, pour écrire l’histoire de Gilles de Rais – et, après un silence, il ajouta : – Je ne reproche au naturalisme ni ses termes de pontons, ni son vocabulaire de latrines et d’hospices, car ce serait injuste et ce serait absurde ; d’abord, certains sujets les hèlent, puis avec des gravats d’expressions et du brai de mots, l’on peut exhausser d’énormes et de puissantes œuvres, L’Assommoir, de Zola, le prouve ; non, la question est autre ; ce que je reproche au naturalisme, ce n’est pas le lourd badigeon de son gros style, c’est l’immondice de ses idées ; ce que je lui reproche, c’est d’avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d’avoir glorifié la démocratie de l’art !
    Oui, tu diras ce que tu voudras, mon bon, mais, tout de même, quelle théorie de cerveau mal famé, quel miteux et étroit système ! Vouloir se confiner dans les buanderies de la chair, rejeter le suprasensible, dénier le rêve, ne pas même comprendre que la curiosité de l’art commence là où les sens cessent de servir !
Huysmans, Là-bas (1891), incipit


Dans le Roman expérimental (1880), Zola expose sa doctrine :

 
Dans l’étude d’une famille, d’un groupe d’êtres vivants, je crois que le milieu social a [...] une importance capitale. Un jour, la physiologie nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions ; nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l’homme, comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des organes agissant sous l’influence du milieu intérieur, ne se produisent pas au dehors isolément et dans le vide. L’homme n’est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l’individu et de l’individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet d’en trouver les lois aisément. Nous n’en sommes pas à pouvoir prouver que le milieu social n’est, lui aussi, que chimique et physique. Il l’est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d’un groupe d’êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. Dès lors, nous verrons qu’on peut agir sur le milieu social, en agissant sur les phénomènes dont on se sera rendu maître chez l’homme.


Dans le Naturalisme au théâtre (1881) :


[Le roman naturaliste] est impersonnel, je veux dire que le romancier n’est plus qu’un greffier, qui se défend de juger et de conclure.


I. Émile Zola, les Rougon-Macquart


A. Les personnages et les thèmes

 
La préface de la Fortune des Rougon (1871, le premier tome des vingt) précise les vues de son auteur sur l’hérédité, thème fondamental des vingt romans qui constituent les Rougon-Macquart :


Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices.  Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le second empire, à l’aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d’État à la trahison de Sedan.


La description, souvent constituée de longues énumérations pleines d’adjectifs, veut comme une peinture donner l’illusion de sensations très vives. Le thème de la ville, fréquemment traité sous la forme de ses excès, est constant (La curée, Le ventre de Paris, L’assommoir, Nana, Au bonheur des dames, etc.), chaque tome traçant un caractère spécifique (la spéculation, le marché, l’alcool, le spectacle, les grands magasins…)

Par exemple, dans Le ventre de Paris (1873) :


Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, rangés en piles comme des boulets, avec une régularité surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s’épanouissaient, pareilles à d’énormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient à des bouquets de mariée, alignés dans des jardinières colossales.
(…)
Près d’une corbeille, une bougie allumée mettait là, sur tout le noir d’alentour, une chanson aiguë de couleur, les panachures vives des marguerites, le rouge saignant des dahlias, le bleuissement des violettes, les chairs vivantes des roses.
(…)
L’arrivage des abats dans des carrioles qui puent et qu’on lave à grande eau les intéressait. Ils regardaient déballer les paquets de pieds de mouton qu’on empile à terre comme des pavés sales, les grandes langues roidies montrant les déchirements saignants de la gorge, les cœurs de bœuf solides et décrochés comme des cloches muettes.


La conquête est souvent employée pour donner l’image d’une société bourgeoise en plein développement, avec ses chances et ses misères.


Aristide Rougon s’abattit sur Paris, au lendemain du 2 Décembre, avec ce flair des oiseaux de proie qui sentent de loin les champs de bataille. (La Curée, II)


Le prolétariat, en troisième lieu, qu’il soit de la ville (L’Assommoir) ou non (Germinal), devient un thème central chez les naturalistes, alors que chez Balzac ce monde était bien moins éclairé.

Dans la sous-partie qui suit nous ébaucherons un exemple qui va nous permettre de tirer d’autres moyens et quelques autres thèmes chers à Zola : l’anaphore rapide (un personnage réapparaît dans plusieurs romans, éclairé différemment selon le contexte, les liens familiaux : par exemple Lisa Quenu mère de Pauline dans le Ventre de Paris, tante de Lantier dans L’œuvre), l’art et les idées que Zola se fait du mouvement et des autres.


B. Un exemple


Claude Lantier, un peintre, héberge une jeune fille perdue dans la nuit à Paris. Effrayée, elle lui raconte son histoire, et la reprend le lendemain.

Ce qu’il (Claude) avait imaginé, pour être simple et logique, était tout bonnement stupide, à côté de ce cours naturel des infinies combinaisons de la vie.

Puis, la belle s’en va sans promesse.

Encore, s’il eût compris pourquoi elle mentait ! mais non, des mensonges sans profit, inexplicables, l’art pour l’art ! Ah ! elle riait bien, à cette heure !

Zola, L’œuvre, I

…une œuvre, où l’on tâcherait de mettre les choses, les bêtes, les hommes, l’arche immense ! Et pas dans l’ordre des manuels de philosophie, selon la hiérarchie imbécile dont notre orgueil se berce ; mais en pleine coulée de la vie universelle, un monde où nous ne serions qu’un accident, où le chien qui passe, et jusqu’à la pierre des chemins, nous compléteraient, nous expliqueraient ; enfin, le grand tout, sans haut ni bas, ni sale ni propre, tel qu’il fonctionne...

Zola, L’œuvre, II

C’est ainsi que dans plusieurs de ses ouvrages Zola met dans la bouche des personnages ses conceptions sur le roman et sur l’art (voir texte plus bas). Ces deux formes y sont d’ailleurs souvent mêlées, puisque seule la « peinture » littéraire, et la prose, permet d’affirmer un point de vue scientifique.
Notons que la volonté d’ériger un système de personnages reparaissant, comme l’a commencé Balzac, est très présente. Par exemple :

 « Il rêva longtemps un tableau colossal, Cadine et Marjolin s’aimant au milieu des Halles centrales, dans les légumes, dans la marée, dans la viande. Il les aurait assis sur leur lit de nourriture, les bras à la taille, échangeant le baiser idyllique. Et il voyait là un manifeste artistique, le positivisme de l’art, l’art moderne tout expérimental et tout matérialiste ; il y voyait encore une satire de la peinture à idées, un soufflet donné aux vieilles écoles. » (Le ventre de Paris, IV)


« Tu sais, mon tableau des Halles, mes deux gamins sur des tas de légumes, eh bien ! je l’ai gratté, décidément : ça ne venait pas, je m’étais fichu là dans une sacrée machine, trop lourde encore pour mes épaules. Oh ! je reprendrai ça un jour, quand je saurai, et j’en ferai d’autres, oh ! des machines à les flanquer tous par terre d’étonnement ! » (L’œuvre, II)

Manet, botte d'asperges

« Le jour venait où une seule carotte originale serait grosse d’une révolution. » (L’œuvre, II)


II. Lectures


A. Émile Zola, L’œuvre, VI-VII, 1886


 
Sandoz, un écrivain et journaliste, vient visiter Lantier qui avec sa femme s’est installé à la campagne. Il lui expose son idée.

Un silence tomba des feuillages, immobiles dans la grosse chaleur. Il reprit d’une voix ralentie, en phrases sans suite :
– Hein ? étudier l’homme tel qu’il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l’homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes... N’est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous le prétexte que le cerveau est l’organe noble?... La pensée, la pensée, eh ! tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau, quand le ventre est malade !... Non ! c’est imbécile, la philosophie n’y est plus, la science n’y est plus, nous sommes des positivistes, des évolutionnistes, et nous garderions le mannequin littéraire des temps classiques, et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! Qui dit psychologue dit traître à la vérité. D’ailleurs, physiologie, psychologie, cela ne signifie rien : l’une a pénétré l’autre, toutes deux ne sont qu’une aujourd’hui, le mécanisme de l’homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions... Ah ! la formule est là, notre révolution moderne n’a pas d’autre base, c’est la mort fatale de l’antique société, c’est la naissance d’une société nouvelle, et c’est nécessairement la poussée d’un nouvel art, dans ce nouveau terrain... Oui, on verra, on verra la littérature qui va germer pour le prochain siècle de science et de démocratie ! Son cri monta, se perdit au fond du ciel immense. Pas un souffle ne passait, il n’y avait, le long des saules, que le glissement muet de la rivière. Et il se tourna brusquement vers son compagnon, il lui dit dans la face :
– Alors, j’ai trouvé ce qu’il me fallait, à moi. Oh ! pas grand-chose, un petit coin seulement, ce qui suffit pour une vie humaine, même quand on a des ambitions trop vastes... Je vais prendre une famille, et j’en étudierai les membres, un à un, d’où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l’humanité pousse et se comporte... D’autre part, je mettrai mes bonshommes dans une période historique déterminée, ce qui me donnera le milieu et les circonstances, un morceau d’histoire... Hein ? tu comprends, une série de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en ayant chacun son cadre à part, une suite de romans à me bâtir une maison pour mes vieux jours, s’ils ne m’écrasent pas !
Il retomba sur le dos, il élargit les bras dans l’herbe, parut vouloir entrer dans la terre, riant, plaisantant.

(…) Après quatre années, Lantier retourne à Paris et y rencontre son ami.

Mais Sandoz, assis devant sa table, les coudes parmi les pages du livre en train, écrites dans la matinée, se mit à parler du premier roman de sa série, qu’il avait publié en octobre. Ah! on le lui arrangeait, son pauvre bouquin ! C’était un égorge-ment, un massacre, toute la critique hurlant à ses trousses, une bordée d’imprécations comme s’il eût assassiné les gens, à la corne d’un bois. Et il en riait, excité plutôt, les épaules solides, avec la tranquille carrure du travailleur qui sait où il va. Un étonnement seul lui restait, la profonde inintelligence de ces gaillards, dont les articles bâclés sur des coins de bureau, le couvraient de boue, sans paraître soupçonner la moindre de ses intentions. Tout se trouvait jeté dans le baquet aux injures : son étude nouvelle de l’homme physiologique, le rôle tout-puissant rendu aux milieux, la vaste nature éternellement en création, la vie enfin, la vie totale, universelle, qui va d’un bout de l’animalité à l’autre, sans haut ni bas, sans beauté ni laideur ; et les audaces de langage, la conviction que tout doit se dire, qu’il y a des mots abominables nécessaires comme des fers rouges, qu’une langue sort enrichie de ces bains de force ; et surtout l’acte sexuel, l’origine et l’achèvement continu du monde, tiré de la honte où on le cache, remis dans sa gloire, sous le soleil. Qu’on se fâchât, il l’admettait aisément ; mais il aurait voulu au moins qu’on lui fît l’honneur de comprendre et de se fâcher pour ses audaces, non pour les saletés imbéciles qu’on lui prêtait.
– Tiens ! continua-t-il, je crois qu’il y a encore plus de niais que de méchants... C’est la forme qui les enrage en moi, la phrase écrite, l’image, la vie du style. Oui, la haine de la littérature, toute la bourgeoisie en crève !



B. Henri Barbusse, L’enfer, 1908



J’ai ouvert un livre que j’ai là. Je me plonge dans le détail. J’y apprends ce qui m’attend, moi ! J’y apprends mon histoire future.
Les animaux des cimetières se succèdent par périodes ; chaque espèce vient en son temps, de sorte qu’on reconnaît l’âge d’un cadavre à la foule qui s’en repaît. Il y a ainsi à travers les corps abandonnés huit immigrations successives qui correspondent aux huit phases de la fermentation putride par laquelle, peu à peu, l’intérieur du corps s’extériorise.
Je veux les connaître, voir d’avance ce que je ne verrai pas — et palpiter ce que je ne ressentirai pas.
De petites mouches, les curtonèvres, hantent le corps quelques instants avant la mort… Je les entendrai. Certaines émanations leur indiquent l’imminence d’un événement qui va leur procurer avec une abondance débordante des aliments pour leurs larves, et lourdes d’œufs, elles s’acharnent déjà à pondre dans les narines, dans la bouche, et aux coins des yeux.
A peine la vie a-t-elle cessé, que d’autres mouches affluent. Dès que le pauvre souffle de corruption devient sensible, d’autres encore : la mouche bleue, la mouche verte, dont le nom scientifique est Lucilia Cœsar, et la grande mouche au thorax rayé de blanc et noir qu’on appelle « grand sarcophagien ». La première génération de ces mouches accourues à l’affreux signal peut former à elle seule dans le cadavre sept à huit générations qui se prolongent et s’entassent pendant trois à six mois : « Chaque jour, dit Mégnin, les larves de la mouche bleue augmentent de deux cents fois leur poids… » La peau du cadavre est alors d’un jaune tirant légèrement sur le rose, le ventre est vert clair, le dos vert sombre. Ou du moins, telles en seraient les teintes, si cela ne se passait pas dans l’ombre.
Puis, la décomposition change de nature. C’est la fermentation butyrique, qui produit des acides gras dénommés vulgairement gras de cadavre. C’est la saison des dermestes, — insectes carnassiers qui produisent des larves munies de longs poils, — et de papillons : les aglossas. Les larves des dermestes et les chenilles des aglossas présentent cette particularité qu’elles peuvent vivre dans les matières grasses « qui se moulent, comme du suif, au fond des bières » ; quelques-unes de ces matières cristalliseront et luiront comme des paillettes, plus tard, dans la poussière définitive.
Voici maintenant la quatrième escouade. Elle accompagne la fermentation caséïque, et elle est composée : de mouches, les pyophilas, qui donnent ses vers au fromage — vers reconnaissables aux sauts caractéristiques qu’ils exécutent — et de coléoptères, les corynètes.
La fermentation ammoniacale, la liquéfaction noire des chairs, appelle un cinquième envahissement : il y a là des mouches, les lonchéas, les ophyras et les phoras, si nombreuses que, sur les cadavres exhumés au cours de cette période, les débris noirâtres de leurs chrysalides apparaissent, selon l’expression d’un médecin légiste, « comme de la chapelure sur les jambonneaux » et que des nuées de mouches s’échappent de la bière quand il arrive qu’on la remonte et qu’on l’ouvre pendant cette phase. La décomposition déliquescente noire est préférée aussi par des coléoptères : les silphides, et les neuf espèces de nécrophores.
Maintenant, la putréfaction a à peu près accompli son œuvre. La période qui s’ouvre est celle de la dessiccation et de la momification du cadavre sous les linceuls et les vêtements empesés par les liquides gélatineux de la période précédente. Tout ce qui reste de la matière molle, de pâte organique, farineuse et friable, et de savons ammoniacaux, est dévoré par une autre espèce de bêtes : des acariens, ronds et crochus, à peine visibles à l’œil nu. De quinze jours en quinze jours, leur nombre décuple : au commencement, il y en avait vingt ; au bout de deux mois et demi, il y en a deux millions.
Aux acariens succède une septième immigration. Ce sont des sortes de mites, les aglossas, qui étaient déjà venues au moment de l’écoulement des acides gras, puis avaient disparu. Celles-là rongent, scient, émiettent les tissus parcheminés, les ligaments et tendons, transformés en une matière dure, d’apparence résineuse — ainsi que les poils, les cheveux et les étoffes. Le corps est d’une couleur dorée, bronzée, et répand une forte odeur de cire.
Enfin, au bout de trois ans, la dernière nuée de travailleurs. Que dévorent-ils, ceux-là ? Tout ce qui reste, tout, jusqu’aux débris des insectes qui à l’état larvaire se sont succédé sur le cadavre. L’effaceur suprême est un petit coléoptère noir dont le nom scientifique est tenebrio obscurus.
Après lui, il ne reste plus rien que, malgré lui, quelques débris de débris autour des os blanchis, et une petite masse compacte au fond de la boîte crânienne. Cette sorte de terreau brun, granuleux, qui poudre la pierre humaine et qu’on croirait être le dernier résidu des chairs, n’est même pas cela. C’est l’accumulation des carapaces, des pupes, des chrysalides et des excréments des dernières générations d’insectes dévorateurs.
Trois ans se sont passés. Tout est fini.


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