La Pléiade


A l’origine, les Pléiades (Πλειάδες, peut-être du verbe πλέω, naviguer — n’oublions pas le périple) étaient les sept filles du titan Atlas et de l’océanide Pléioné. Elles sont aussi un groupe d’étoiles situé dans la constellation du Taureau.
Il existait, à la cour de Ptolémée II (IIIème siècle avant notre ère), un groupe de sept poètes et tragiques, la Pléiade alexandrine, qui avaient pris son nom de celles décrites ci-dessus. A la Renaissance, il aura été vraisemblable que Ronsard s’y référât.

Bien qu’il est, à cette époque, encore trop tôt pour quelconque identification de son travail à une école, elle avait son chef de file, le Prince des poètes, Ronsard. Lui, et les autres, auxquels a enseigné l’humaniste Jean Dorat et a ainsi été la « dynamo classique » celée dans la coulisse du collège de Coqueret, ont été très influencés par le poète Pétrarque, et duquel ils vont perpétuer la forme, le sonnet, avec l’alexandrin. Et la liste de nos poètes :

Pierre de Ronsard (1524 – 1585)
Joachim du Bellay (1522 – 1560)
Jean-Antoine de Baïf (1532 – 1589)
Etienne Jodelle (1532 – 1573)
Pontus de Tyard (1521 – 1605)
Rémy Belleau (1528 – 1577)
Jacques Pelletier (1517 – 1582)


1. Les origines et le contexte


A ne pas séparer du contexte de l’Humanisme et de la Renaissance, les « Pléiades » s’inscrivent d’abord dans la vision de faire reculer le monstre ignorance (Ronsard, Du Bellay, II et XI), c’est-à-dire tout ce qui est hostile à l’étude des Lettres.

A une époque clé d’une volonté d’unification dont témoigne l’ordonnance de Villers-Cotterêts (François Ier en 1539) imposant la « langue maternelle » aux écrits juridiques, il faut voir la France, contrairement aux autres grandes « nations », comme linguistiquement morcelée par les patois plus oraux. Si elle le restera jusqu’au XXème siècle, sa langue politique cependant deviendra, dès le début du XVIIIème siècle, celle de la diplomatie et le restera jusqu’au début du XXème siècle. Sa victoire sur le latin, et sa fixation, peut être symbolisée en 1635 par l’Académie française.

Mais moins d’un siècle plus tôt, il en est tout autrement. L’on pouvait écrire de différentes manières, et outre les spécialistes, comme l'imprimeur Tory introduisant les accents aigu et circonflexe (l’accent grave attendra Corneille), une invention saura sentir toute la nécessité de la régularité orthographique, puisqu’elle en a le besoin : l’imprimerie.

Mais la Pléiade, appelée d’abord La brigade, cherche aussi, malgré l’admiration originaire de Ronsard et de Du Bellay pour elles, à émanciper le français poétique des formes du Moyen Age, reprenant de Pétrarque (Renaissance italienne) le sonnet, du néo-platonisme la vision d’un amour spirituel, et de l’Antique l’ode.

Elle entretient néanmoins avec l’Antiquité une relation ambiguë : si elle doit se détacher du Moyen Age et suivre la Renaissance, elle devra aussi assimiler les modèles antiques pour la seule finalité de les rejeter et de donner les fondations à la langue française.


2. Le manifeste de la Pléiade : Défense et illustration de la langue française


Publiée en 1549, la Défense et illustration de la langue française est un chef-d’œuvre d’esprit certes, mais elle deviendra aussi un programme pour la Pléiade, le groupe de sept poètes parmi lesquels étaient du Bellay et Ronsard. L’auteur, à l’encontre de ceux qui méprisent la langue française, en disant l’étude des langues anciennes leur confère le pouvoir qu’une fois assimilées et digérées elles illustreront la langue française. Pour ce faire, ceux qui les étudient doivent dans leur langue imiter — et non reproduire — le latin ou le grec plutôt que de le traduire. Les Latins en ont fait autant des Grecs. Et, nous dit l’auteur, il y a de l’espoir puisque


Nostre langue n’est tant irregulière qu’on voudroit bien le dire. [...] n’a elle point tant d’heteroclites et anomaux monstres estranges de la grecque et latine. (I, 9)

Et qui voudra de bien près y regarder, trouvera que nostre langue françoise n’est si pauvre qu’elle ne puisse rendre fidelement ce qu’elle emprunte des autres. (chap. 4)

Je ne produiray, pour tesmoins de ce que je dy, l’imprimerie, sœur des Muses, et dixième d’elles, et ceste non moins admirable que pernicieuse foudre d’artillerie, avecques tant d’autres non antiques inventions qui monstrent veritablement que, par le long cours des siècles, les esprits des hommes ne son point si abastardis qu’on voudroit bien dire : je dy seulement qu’il n’est pas impossible que nostre langue puisse recevoir quelquesfois cest ornement et artifice, aussi curieux qu’il est aux Grecs et Romains.

Du Bellay, Défense et illustration, chap. 9, 1549


3. Renouvellement poétique et idéaux littéraires : lectures


J’escri en langue maternelle
Et tasche à la mettre en valeur :
Affin de la rendre éternelle
Comme les vieux ont fait la leur
Et soutiens que c’est grand malheur
Que son propre bien mespriser
Pour l’autruy tant favoriser
Si les grecs sont si fort fameux
Si les Latins sont aussi tels,
Pourquoi ne faisons nous comme eux,
Pour être comme eux immortels ?

Jacques Peletier, introduction à la traduction de l’Art Poétique d’Horace

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Si seulement l’image de la chose
Fait à noz yeux la chose concevoir,
Et si mon œil n’a puissance de voir,
Si quelqu’idole au devant ne s’oppose :

Que ne m’a fait celuy qui tout compose,
Les yeux plus grands, afin de mieux pouvoir
En leur grandeur, la grandeur recevoir
Du simulachre où ma vie est enclose ?

Certes le ciel trop ingrat de son bien,
Qui seul la fit, et qui seul vit combien
De sa beauté divine estoit l’Idée,

Comme jaloux d’un bien si precieux,
Silla le monde, et m’aveugla les yeux,
Pour de luy seul seule estre regardée.

Pierre de Ronsard (1524-1585)

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Lors de son séjour à Rome, du Bellay assista à trois conclaves. En 1555, Marcel II, après avoir été élu Pape meurt très vite. L’exception de ce saint, entouré d’intrigues de la Rome pourrie, a probablement été une des causes, avec sa lourde charge d’intendant, qui lui ont fait regretter la France.
Cette poésie élégiaque et satirique vont faire de lui un véritable poète français, épuré des restes latins, malgré le mécontentement des cardinaux auxquels s’adresse souvent la satire.


CIX

Comme un qui veut curer quelque cloaque immonde,
S’il n’a le nez armé d’une contresenteur,
Étouffé bien souvent de la grand puanteur
Demeure enseveli dans l’ordure profonde :

Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde,
Pour laisser écouler la fangeuse épaisseur
Des vices entassés, dont
son prédécesseur
Avait six ans devant empoisonné le monde :

Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris,
Tomba mort au milieu de son œuvre entrepris,
N’ayant pas à demi cette ordure purgée.

Mais quiconque rendra tel ouvrage parfait,
Se pourra bien vanter d’avoir beaucoup plus fait
Que celui qui purgea les étables d’Augée.

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Comme un qui s’est perdu dans la forest profonde
Loing de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vens,
Se voit presque engloutir des grans vagues de l’onde :

Comme un qui erre aux champs, lors que la nuict au monde
Ravit toute clarté, j’avois perdu long temps
Voye, route, et lumiere, et presque avec le sens,
Perdu long temps l’object, où plus mon heur se fonde.

Mais quand on voit, ayans ces maux fini leur tour,
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien present plus grand que son mal on vient croire.

Moy donc qui ay tout tel en vostre absence esté,
J’oublie, en revoyant vostre heureuse clarté,
Forest, tourmente, et nuict, longue, orageuse, et noire.

Etienne Jodelle (1532-1573)



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